Introduction
Les complexes ventriculaires prématurés (PVC) sont une activité électrique provenant des ventricules et conduisant à une dépolarisation précoce des ventricules. Les PVC sont généralement détectés sur l’électrocardiographie (ECG), les dispositifs de surveillance ambulatoire et la télémétrie hospitalière. Les PVC se rencontrent fréquemment chez les patients avec ou sans maladie cardiaque structurelle, et leur fréquence augmente avec l’âge. La plupart des patients atteints de PVC sont asymptomatiques, et la prise en charge consiste en une surveillance et des changements de mode de vie. Les patients symptomatiques peuvent présenter des palpitations, une syncope ou des vertiges, une fatigue accrue ou un essoufflement. Certains patients peuvent présenter un risque accru d’arythmie ou de cardiomyopathie réversible. Le traitement symptomatique peut faire appel à des médicaments antiarythmiques (MAA) ou à l’ablation par cathéter ; l’ablation du PVC est également effectuée de manière routinière dans notre laboratoire d’électrophysiologie. Dans cet article, nous présentons deux cas d’ablation de PVC, en discutant brièvement des PVC et de leur gestion, y compris l’ablation par cathéter.
Cas #1
Une femme de 78 ans s’est présentée à la clinique d’électrophysiologie avec des symptômes de palpitations, d’essoufflement et de fatigue depuis deux ans. Elle nie toute orthopnée, dyspnée paroxystique ou épisodes syncopaux. Elle a déjà subi une échocardiographie transthoracique (ETT) montrant une fraction d’éjection de 55 %. Elle a subi une angiographie coronaire qui a révélé une pression de coin élevée et une légère maladie coronarienne non obstructive. Elle avait un diagnostic antérieur d’hyperlipidémie, d’hypertension et d’insuffisance cardiaque avec fraction d’éjection préservée récemment diagnostiquée. Elle prend de l’hydrochlorothiazide, du losartan, de l’aspirine, du métoprolol et du furosémide, mais continue de présenter des symptômes malgré l’optimisation du traitement médical. Son ECG à la clinique a montré un rythme sinusal, une hypertrophie ventriculaire gauche et de fréquentes PVC dans un schéma trigeminy. Les PVC avaient une morphologie de branche de gauche avec une transition précoce, une grande onde R dans les dérivations II, III et AVF. Sur la base de ces caractéristiques, notre première idée était que les PVC provenaient de la voie de sortie du ventricule droit (VDV). Étant donné la fréquence de ses PVC sur l’ECG, on lui a posé un moniteur Holter, qui a montré une charge totale de PVC de 31 %. On a proposé à la patiente des AAD, mais elle a refusé le traitement médical. Compte tenu de la gravité des symptômes et de l’insuffisance cardiaque sous-jacente avec fraction d’éjection préservée, on lui a proposé une ablation des PVC.
Après avoir obtenu son consentement éclairé, elle a été conduite au laboratoire d’électrophysiologie. Un cathéter octapolaire a été placé dans le sinus coronaire en position oblique antérieure gauche, et un cathéter quadripolaire a été placé en position de His. Nous avons avancé un cathéter à pointe irriguée (THERMOCOOL Catheter, Biosense Webster, Inc., a Johnson & Johnson company) jusqu’à la RVOT, et en utilisant le système CARTO 3 (Biosense Webster, Inc., a Johnson & Johnson company), la carte d’activation a identifié des PVCs provenant de la partie postéro-septale de la RVOT. Nous avons remarqué que l’activation n’était pas assez précoce, et l’électrogramme unipolaire ne présentait pas de déviation négative. Nous sommes alors allés de façon rétrograde vers le ventricule gauche et avons cartographié le ventricule gauche. Le PVC a alors été localisé au niveau de la cuspide coronaire gauche avec une activation précoce de -30 millisecondes et un bon électrogramme unipolaire négatif (Figure 1). Après avoir appliqué plusieurs lésions de radiofréquence de 30 watts, le PVC a été éliminé. Après avoir attendu plus de 30 minutes, nous n’avons pas été en mesure de trouver une seule PVC clinique et avons décidé d’arrêter la procédure.
Après un suivi d’un et six mois, elle n’a montré aucun signe de récidive de PVC sur son moniteur Holter, et ses symptômes se sont améliorés de manière significative avec une résolution complète des palpitations.
Cas #2
Un homme de 71 ans avec des antécédents de réparation de la valve mitrale et d’hyperlipidémie a été suivi dans la clinique d’électrophysiologie pour des palpitations qui avaient lieu depuis de nombreuses années. On a constaté qu’il avait 20 000 PVC avec une charge totale de PVC de 20 % pendant le monitorage Holter de 24 heures. Son échocardiogramme a montré une fraction d’éjection de 55 %, et son angiogramme a révélé une coronaropathie non obstructive. On a commencé à lui administrer du métoprolol à forte dose, ce qui a réduit la charge ectopique à 12 %, et ses symptômes se sont améliorés. Plus récemment, le patient a commencé à se plaindre de palpitations bien qu’il ait continué à recevoir la même dose de métoprolol. Un nouveau moniteur Holter a montré une récurrence de l’augmentation de la charge PVC à 21 %. Son ETT a montré une diminution de la fraction d’éjection à 45 %. Le patient a été mis sous amiodarone, qui a brièvement contrôlé ses symptômes mais a été interrompu en raison d’effets indésirables. Il a refusé d’essayer d’autres AAD. Compte tenu de sa charge en PVC, de ses symptômes incontrôlés, de la diminution de sa fraction d’éjection et de son intolérance aux AAD, le patient a été jugé candidat à l’ablation par cathéter.
Le jour de l’intervention, son ECG a montré un rythme sinusal avec un bloc de branche droit (RBBB) et de fréquentes PVC. Les PVC avaient une morphologie RBBB avec un axe inférieur et une onde S dans les dérivations II et III. Après avoir donné son consentement, le patient a été amené au laboratoire d’électrophysiologie. Un cathéter quadripolaire a été placé en position de potentiel de His, et un autre cathéter quadripolaire a été avancé jusqu’à l’oreillette droite haute, puis jusqu’à l’apex du ventricule droit. Un cathéter irrigué de 3,5 mm a été avancé vers le ventricule gauche de manière rétrograde. Nous avons obtenu des cartes d’activation et de tension à l’aide du système de cartographie CARTO 3, et le PVC a été identifié le long de la continuité aortico-mitrale (AMC) (Figure 2). Il est à noter que nous avons initialement identifié trois PVC différentes, mais que seule l’AMC a persisté. La localisation de l’AMC a ensuite été confirmée en utilisant le pace mapping. Un total de 16 lésions par radiofréquence ont été appliquées à cet endroit, après quoi aucune autre PVC n’a été notée. Nous avons ensuite utilisé une perfusion d’isoprotérénol ainsi qu’une stimulation ventriculaire en salves, mais aucune autre PVC ou tachycardie ventriculaire (TV) n’a été obtenue. Nous avons ensuite créé une carte de tension de l’ensemble du ventricule gauche, et la procédure a été achevée.
Après un suivi d’un mois et de trois mois, ce patient reste asymptomatique et sans PVC sur le moniteur Holter, avec un nouvel ETT montrant une modeste augmentation de la fraction d’éjection à 50 %.
Incidence, prévalence et physiopathologie
Dans l’étude Atherosclerosis Risk in Communities (ARIC), les PVC sont présents chez >6% de la population sur un ECG de deux minutes. La prévalence était différente selon les groupes d’âge, le sexe et l’origine ethnique, et était fortement associée à l’hypertension.1 Un suivi plus long, tel que l’ECG ambulatoire de 24 heures, montre que près de 50 % des personnes présentant des PVC ne présentent aucune cardiopathie structurelle.2 Les pathologies cardiaques fréquemment associées aux PVC sont l’insuffisance cardiaque, l’ischémie myocardique, la myocardite, les cardiopathies congénitales, l’hypertrophie ventriculaire gauche, la tachycardie ventriculaire idiopathique et la dysplasie ventriculaire droite arythmogène.3 Les PVC sont également parfois observées dans le cadre d’affections non cardiaques telles que les maladies pulmonaires (bronchopneumopathie chronique obstructive, hypertension pulmonaire), les troubles endocriniens (anomalies hormonales de la thyroïde et des glandes surrénales), les drogues illicites (cocaïne), le tabagisme, l’alcool et les médicaments (bêta-agonistes ou inotropes).4 Des facteurs tels que le tonus autonome, l’anxiété, les perturbations électrolytiques, l’hypoxie et l’ischémie affectent également l’apparition et la fréquence des PVC. La majorité du temps, les PVC proviennent de la RVOT, tandis que d’autres foyers moins courants sont la voie de sortie du ventricule gauche, les tissus épicardiques adjacents aux sinus aortiques de Valsalva, le système de Purkinje du ventricule gauche, le sommet du ventricule gauche, l’anneau de la valve auriculo-ventriculaire et les muscles papillaires5.
PVC et arythmies
Des études ont montré que les PVC étaient associées à un risque accru de mortalité, en particulier chez les patients ayant subi un infarctus du myocarde récent.6 Une fréquence et une complexité accrues des PVC étaient associées à des risques plus élevés de tachycardie ventriculaire, de fibrillation ventriculaire et de décès cardiaque. Par la suite, l’essai CAST (Cardiac Arrhythmia Suppression Trial) a été conçu pour évaluer l’utilisation des AAD (encaïnide, flécaïnide ou moricizine) pour supprimer les PVC après un IM. Malheureusement, une augmentation de la mortalité a été observée dans le groupe antiarythmique par rapport au groupe placebo, malgré la suppression des PVC7,8. On a pensé que l’augmentation de la mortalité était due aux effets pro-arythmogènes des AAD. On pensait alors que les PVC étaient bénins, mais des études ultérieures ont révélé que les PVC sont associés à un risque accru de maladie athérosclérotique, d’accident vasculaire cérébral, de mort cardiaque subite et de dysfonctionnement du ventricule gauche ou de cardiomyopathie1,9.
PVC et cardiomyopathie
En 1998, Duffee et al ont montré que la suppression des PVC chez les patients atteints de cardiomyopathie dilatée idiopathique présumée pouvait entraîner une amélioration de la fonction ventriculaire gauche.10 Depuis lors, de multiples études ont montré que les PVC étaient un facteur de risque indépendant de cardiomyopathie. Le diagnostic de cardiomyopathie induite par les PVC (PIC) peut être posé cliniquement par la présence de fréquentes PVC et l’absence d’autres causes de cardiomyopathie.11 Même chez les patients présentant une cardiopathie structurelle, la présence de fréquentes PVC peut contribuer à l’aggravation de la cardiomyopathie. La pathophysiologie exacte est encore inconnue ; le mécanisme proposé de la PIC implique une dyssynchronie ventriculaire et une cardiomyopathie induite par la tachycardie. Les facteurs de risque de PIC comprennent non seulement la fréquence accrue mais aussi la durée d’exposition, un complexe QRS plus long, des PVC d’origine épicardique et le sexe masculin. Des études ont montré que la charge en PVC de >15-25% présente un risque accru de cardiomyopathie, bien que de nombreux patients présentant une charge similaire aient une fraction d’éjection normale ; même une faible charge en PVC de 4-5% peut parfois être associée à une cardiomyopathie.3,11
Évaluation diagnostique
Le bilan initial comprend une anamnèse et un examen physique ciblés sur les symptômes, la durée, tout facteur associé et des questions spécifiques sur les symptômes d’insuffisance cardiaque. Le bilan de laboratoire comprend un panel métabolique complet, y compris les électrolytes, les numérations sanguines et les bilans hormonaux tels que les taux de thyroïde et de catécholamines. Tous les patients doivent bénéficier d’un ECG ambulatoire ou d’un moniteur Holter pour évaluer la morphologie des PVC, leur fréquence, leur variation diurne, leur poids et la corrélation avec les symptômes. Une échocardiographie transthoracique (ETT) de routine doit être réalisée pour documenter la fraction d’éjection et rechercher une éventuelle cardiopathie structurelle. Le bilan ischémique, tel qu’une épreuve d’effort ou une angiographie, peut être adapté en fonction de la présentation du patient. La résonance magnétique cardiaque et la tomographie par émission de positons (TEP) peuvent être utilisées en outre pour identifier une cardiopathie structurelle, même chez un patient dont l’ETT ou l’angiographie est normale.
Gestion : Mode de vie et médical
La première étape de la prise en charge des PVC implique l’identification de toutes les causes secondaires qui provoquent les PVC ou les aggravent, comme les déséquilibres électrolytiques, les troubles métaboliques ou la maladie coronarienne. Une modification du mode de vie, comme l’arrêt du tabac, la limitation de la consommation d’alcool ou de caféine et la gestion du stress et de l’anxiété, peut améliorer les symptômes chez certains patients. La prise en charge médicale initiale consiste en l’administration de bêta-bloquants ou d’inhibiteurs calciques, qui présentent un excellent profil de sécurité et se sont révélés efficaces chez certains patients au moins. Comparés aux bêta-bloquants ou aux inhibiteurs calciques, les médicaments antiarythmiques ont un taux de réussite plus élevé dans la suppression de la PVC. Les antiarythmiques de classe IC, tels que la flécaïnide et la propafénone, sont efficaces dans la suppression de la PVC, mais leur utilisation est limitée chez les patients présentant une maladie structurelle ou coronarienne. Chez ces patients, l’amiodarone, le dofétilide et le sotalol sont sûrs, mais ils ont tous leur propre profil d’effets secondaires, surtout en cas d’utilisation à long terme.11,12
Gestion : Ablation par cathéter
Par rapport aux AAD, l’ablation par cathéter des PVC est beaucoup plus efficace et a un effet durable à long terme. Le taux de réussite de l’ablation par cathéter à radiofréquence varie de 65 à 90 %, même dans le cadre d’un suivi à long terme.13-15 Les directives actuelles recommandent l’ablation par cathéter chez les patients atteints de PIC qui ont échoué ou qui ne peuvent pas tolérer les AAD ou en fonction de la préférence du patient. Les prédicteurs de succès de l’ablation comprennent l’origine de la RVOT et les PVC monomorphes. Les PVC provenant du muscle épicardique ou papillaire et les PVC à morphologies multiples sont des indicateurs d’un échec possible de l’ablation.11,15 La réussite de l’ablation par cathéter est associée à une certaine amélioration de la fraction d’éjection chez la majorité des patients. Les lignes directrices recommandent également d’envisager l’ablation par cathéter chez les patients atteints d’une cardiopathie structurelle chez qui les PVC fréquentes contribuent probablement à une cardiomyopathie accrue et en cas de tachycardie ou de fibrillation ventriculaire, qui sont déclenchées de manière focale par une PVC. Il n’existe pas encore de consensus sur l’utilisation de l’ablation par cathéter des PVC chez les patients symptomatiques ayant une fraction d’éjection normale. Certains auteurs recommandent d’utiliser l’ablation par cathéter en dernier recours, après avoir épuisé tous les médicaments antiarythmiques, ou chez les patients très symptomatiques.15
La technique d’ablation par cathéter est basée sur l’identification et la localisation des PVC, et ceci peut être réalisé en utilisant des techniques de cartographie d’activation ou de cartographie de rythme. Une fois localisé, le signal électrique focal endocardique ou épicardique le plus précoce précédant la PVC ciblée est ablaté.15 Afin de localiser efficacement ces foyers, une fréquence accrue de PVC est nécessaire le jour de la procédure. Certaines stratégies utiles impliquent l’arrêt des AAD quelques jours avant l’intervention, la limitation des sédatifs peropératoires et l’utilisation d’agents d’induction chimiques tels que l’isoprotérénol, l’épinéphrine ou la phényléphrine pendant l’intervention.15 Ces dernières années, les cathéters de cartographie multiélectrodes sont désormais fréquemment utilisés ; ces cathéters peuvent obtenir des données de plusieurs sites pour chaque battement, et ont donc une meilleure résolution et une meilleure vitesse de cartographie. Les cathéters multiélectrodes comprennent le THERMOCOOL, le cathéter Livewire (Abbott), le cathéter de cartographie Advisor HD Grid, Sensor Enabled (Abbott) et le cathéter de cartographie Orion (Boston Scientific). Certains de ces cathéters peuvent être utilisés avec le système CARTO, tandis que d’autres peuvent être utilisés avec le système de cartographie Rhythmia HDx (Boston Scientific). Historiquement, l’ablation par radiofréquence a été la méthode d’ablation privilégiée ; les autres techniques comprennent l’ablation par aiguille, l’ablation à l’éthanol et la cryoablation. La cryoablation pourrait être plus efficace dans des structures anatomiques spécifiques telles que les muscles papillaires. Une autre méthode émergente est l’utilisation de la radiothérapie stéréotaxique ; cette technique nécessite au préalable une localisation précise du substrat du PVC.15
Les PVC provenant de l’épicarde, du sommet du VG, de l’emplacement intramural, des muscles papillaires et de la région para-hisienne peuvent être difficiles à ablater. L’amélioration des techniques d’ablation et de cartographie a augmenté les taux de réussite de l’ablation de ces foyers anatomiquement difficiles. Dans certains cas, on peut tenter de réaliser l’ablation par le système veineux coronaire ou par un accès chirurgical. Dans l’ensemble, l’ablation par cathéter est une procédure sûre avec un taux de complications rapporté de 2,4 %. Les complications courantes comprennent les hématomes, les pseudo-anévrismes ou les fistules artério-veineuses, ainsi que les complications cardiaques telles que l’épanchement ou la tamponnade péricardique, les lésions valvulaires ou coronariennes et les dommages au système de conduction.11,12,15
Conclusion
Les CVP peuvent se présenter de nombreuses façons. Elles peuvent être bénignes ou symptomatiques, associées à des arythmies, ou présenter une insuffisance cardiaque. Une approche pratique impliquant un bilan diagnostique approprié doit être utilisée pour chaque patient avant de décider de la prise en charge. Les patients qui sont asymptomatiques et dont la fraction d’éjection est normale peuvent être surveillés périodiquement par un monitoring ambulatoire et un ETT. Si les PVC sont symptomatiques, provoquent une cardiomyopathie ou sont associées à un risque d’arythmies ventriculaires, elles peuvent être traitées soit par une prise en charge médicale, soit par une ablation par cathéter.
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