Distinguer le droit et l’éthique : Un défi pour le praticien moderne

Le droit, en particulier le droit américain, peut être considéré comme plus dérivé et plus structuré que son homologue éthique. Le droit américain, dérivé comme il l’est des codes de la common law anglaise, se préoccupe principalement des règles qui stabilisent les institutions sociales. Il est moins préoccupé par la promotion des idéaux sociaux. Cela ne tient pas seulement à la dépendance du droit à l’égard des précédents et du principe du stare decisis (qui signifie en latin « que la décision soit maintenue »). C’est une fonction qui consiste à décider quand il faut agir – quand il faut faire peser toute la force de la sanction sociale sur les citoyens individuels et leurs actes spécifiques.

Cette distinction est souvent caractérisée comme la différence entre les règles morales et les idéaux moraux. Les théoriciens du droit écrivent souvent sur la nécessité de faire la distinction entre une règle violée et un idéal non atteint. La plupart soutiennent que les comportements exemplaires, surérogatoires ou autrement moralement extraordinaires ne devraient pas être appliqués par la loi. Les actes de charité et les sauvetages entrent dans cette catégorie, tout comme les bonnes manières et les codes vestimentaires. Le droit est généralement réservé aux règles essentielles au maintien du tissu social, y compris la sécurité, les contrats et les vastes conceptualisations du bien commun.

Le juriste H.L.A. Hart (1961) a exprimé cette distinction d’une manière bien connue de la tradition juridique . En équilibrant les charges et les avantages pour la société, il a décrit une limite à la quantité d’application de la loi que la société peut se permettre. Selon ce point de vue, le fardeau de la communauté peut être trop important pour faire respecter chaque tort moral : il peut y avoir de grandes difficultés de preuve, une surcharge des tribunaux ou une entrave à des institutions sociales particulières (par exemple, le commerce).

Hart est allé plus loin, cependant, en identifiant deux domaines particuliers que beaucoup reconnaissent intuitivement comme des distinctions entre le droit et l’éthique. Le premier est décrit comme l’immunité contre les changements délibérés, une propriété de l’éthique mais pas du droit. Le droit, par exemple, peut être modifié par l’acte délibéré d’une législature et appliqué à un moment précis. Ce n’est guère le cas de l’éthique, qui attend l’évolution des sensibilités, des mœurs et des valeurs communautaires.

La loi sur l’autodétermination des patients (Patient Self-Determination Act, PSDA), par exemple, a été votée en 1990 et est entrée en vigueur à une date fixée, début 1991. Cependant, la pression morale en faveur de l’identification des décideurs par procuration (que la PSDA a rendu obligatoire) avait pris de l’ampleur depuis un certain temps. Elle représentait davantage un mouvement qu’un événement. Les patients et les médecins s’étaient efforcés de changer le paysage moral pendant une génération avant que la loi ne change les choses d’un trait de plume.

La deuxième distinction dans l’analyse bien connue de Hart souligne la forme que prend souvent la pression morale. Alors que la loi exige des citoyens qu’ils évitent certains comportements sous peine de dommages physiques ou économiques, l’éthique utilise une pression d’un autre type. L’éthique fait appel à l’idéal ou au but que sert une règle. Elle fait appel à la conscience ou au regret, à la culpabilité ou au remords. Les sanctions peuvent donc inclure la désapprobation sociale ou l’isolement au sein de la communauté. C’est une réponse qualitativement différente de celle de la loi.

Une extension de ceci est l’accent mis par la loi sur les obligations négatives d’un citoyen envers un autre – avec ce qu’un individu ne peut pas faire sans sanction sociale. C’est un rappel de l’accent mis par la loi sur la stabilité institutionnelle plutôt que sur les idéaux sociaux. Ce n’est pas le droit, mais l’éthique, qui traite des obligations positives de soins et de guérison qui concernent le plus profondément la médecine (Morreim, 1991).

D’autres modèles de raisonnement éthique soulignent cette différence. L’éthique fixe souvent des seuils multiples pour une prise de décision appropriée, identifiant le comportement comme obligatoire, permissible ou interdit. L’éthique fonctionne généralement plus haut dans ce spectre que le droit, qui est souvent considéré comme travaillant au niveau de l’interdiction plutôt que de l’obligation. Cela rappelle la distinction entre les obligations négatives et positives, et distingue à nouveau l’éthique du droit.

En conséquence, le droit est une créature réactionnaire. Il n’adopte pas facilement les solutions créatives, prospectives et interventionnistes de la plupart des cadres éthiques – des cadres qui obligent les participants à éviter ou à prévenir les problèmes éthiques. Le droit, dans son conservatisme ou sa retenue, comme on l’appelle parfois, choisit souvent la non-intervention plutôt que l’intervention et permet aux communautés (c’est-à-dire aux juridictions) de développer leurs propres solutions. L’éthique a plus de liberté pour adopter une approche plus prescriptive et généralisable.

Un exemple de la nature plus flexible de l’éthique est la conduite de la consultation éthique dans les soins de fin de vie. On apprend aux consultants en éthique à enquêter sur les relations importantes qui peuvent informer les cliniciens sur les souhaits de traitement d’un patient incompétent. Dans certaines juridictions, cependant, il existe une hiérarchie légalement prescrite des membres de la famille qui doivent être consultés.

Cette distinction nous ramène à l’accent strict mis sur le précédent dans le système juridique. Plutôt que de soutenir le précédent comme une force stabilisant les règles sociétales, l’éthique soutient que la tradition n’est pas un mandat moral. En éthique, il ne suffit pas qu’un problème ait été résolu d’une certaine manière dans le passé. Les principes et les règles doivent être dérivés d’une manière qui reconnaît la richesse de chaque cas. En effet, l’éthique en tant que domaine a récemment développé une combinaison plus casuistique (c’est-à-dire basée sur des cas) d’approches fondées sur des principes et d’approches narratives. Cette méthode permet au récit (ou à l’histoire) individuel de fournir plus de contexte que la loi n’en offre habituellement.

John Rawls (1971), le grand philosophe moderne américain, a souligné l’importance du processus juridique strict qui définit le droit. Il a écrit que les procédures juridiques sont la monnaie morale du droit. Rawls a reconnu qu’une justice parfaite peut être irréalisable en toutes circonstances et que notre système est celui d’une justice procédurale imparfaite. En d’autres termes, les procédures complexes des procès et les règles de preuve sont les principales composantes du droit. La procédure fournit la principale assurance morale d’un résultat juste. S’il n’est pas respecté, la justice n’est pas rendue. D’où la force des technicités dans la détermination du résultat des affaires juridiques.

L’éthique fournit un meilleur équilibre entre le processus et le résultat en mettant davantage l’accent sur le résultat. Bien qu’il existe un processus classique pour arriver à une décision éthique (souvent déductif et axé sur le consensus et les principes), le résultat doit également être bon. Si le processus a d’une manière ou d’une autre ignoré des informations pertinentes, il est mutable et flexible. Ce n’est pas le cas de la loi.

Que signifie cette discussion pour le praticien, qui doit répondre à une citation à comparaître, faire une déposition ou comparaître d’une autre manière devant un tribunal ? Savoir comment fonctionner dans les limites minimalistes, procédurales et axées sur les règles de la loi est essentiel pour réussir dans ses couloirs. Interroger son propre avocat sur les règles qui seront suivies est un point de départ important. Savoir que les procédures établies de qualification, d’examen direct, de contre-interrogatoire et de réfutation encadrent son témoignage contribue grandement à calmer l’anxiété que la plupart des praticiens ressentent au tribunal.

En outre, la préparation d’un script pour le témoignage permet aux praticiens d’adapter leur expertise aux exigences du cadre juridique. Le défi des interrogatoires directs et des contre-interrogatoires est d’exprimer la pensée clinique en termes reconnaissables par la loi. Conçu comme un forum accessible au profane, le tribunal n’apprécie pas le jargon et le vocabulaire spécialisé. Les médecins doivent adapter les données cliniques au langage juridique spécifique régissant l’audience.

Ce sont les définitions juridiques de la juridiction qui détermineront souvent la pertinence des informations cliniques. Comme les normes peuvent différer d’un tribunal à l’autre, les cliniciens doivent appliquer leur témoignage aux cadres connus de la juridiction (par exemple, la dangerosité, les meilleurs intérêts, le jugement substitué). Cela permet une transition plus fluide entre la salle de consultation et la salle d’audience.

En outre, le processus juridique contradictoire met les psychiatres au défi de repenser les forces et les faiblesses de leur logique clinique. Parce que les psychiatres ne sont pas habitués à exposer l’éthique clinique collégiale à l’éthique de la procédure juridique contradictoire, la répétition des réponses aux critiques potentielles est une préparation utile. De nombreux témoins débutants sont surpris de constater que la critique de leur témoignage n’a souvent pas un ton clinique. Elle découle plutôt de la compréhension d’un profane – un avocat ou un juge qui n’est pas familier avec les significations cliniques que les praticiens prennent généralement pour acquis. Par exemple, le simple fait de décrire la schizophrénie comme une désorganisation de la pensée et une altération du contact avec la réalité permet à certains profanes de ne pas comprendre que la maladie se caractérise par des personnalités multiples. Cette description, simpliste pour les psychiatres, est plus susceptible de transmettre des informations à un tribunal sur l’aliénation mentale, un concept juridique qu’il doit aborder avec des informations cliniques. Le fait d’être clair dans l’utilisation de la terminologie clinique et de la rendre pertinente pour les critères juridiques opérationnels contribue grandement à atténuer la critique de son témoignage.

Malgré ces distinctions, le droit doit avoir ses racines dans l’éthique. Il doit soutenir le droit et le juste. Il doit émaner des mœurs et des valeurs de la communauté. Selon le sens ancien de ces termes, il doit tirer sa force des traditions de la société sur ce qui est bon. À partir de ce point de départ, cependant, les domaines divergent. Ils se distinguent et sont distincts. Reconnaître les qualités uniques de chacun enrichit l’expérience de tout praticien qui doit négocier le chemin entre eux.

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