Un dictateur fou de pouvoir envoie des agents pour kidnapper le pape, piller son palais et le forcer à démissionner en disgrâce sur de fausses accusations.
Cela peut ressembler à l’intrigue d’un thriller d’action contemporain. Mais cela s’est réellement passé en 1303 – un drame réel mettant en scène le roi Philippe IV de France et le pape Boniface VIII.
L’incident a couronné une lutte acharnée entre deux des hommes les plus puissants du monde médiéval. Et cela ne s’est pas terminé avec la mort du pontife. Le roi français a ensuite cherché à effacer non seulement la réputation du pape, mais aussi ses ossements réels.
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Rivaux motivés par la cupidité et le pouvoir
Philipe, né en 1268, était également connu sous le nom de Philippe le Bel, non pas pour son sens de la justice mais pour son beau visage. Selon de nombreux témoignages, il était impitoyable, insatiablement cupide et convaincu de régner par droit divin.
Boniface n’était pas non plus un saint. Né Benedetto Caetani (ou Gaetani) dans une famille noble italienne vers 1235, il a étudié le droit avant de devenir cardinal en 1281 et pape en 1294. Comme plusieurs de ses prédécesseurs papaux, il estimait que son autorité était suprême, dépassant même celle des rois. On le disait également autocratique, rancunier et prêt à utiliser sa position pour s’enrichir et enrichir sa famille. Ses ennemis ont même prétendu qu’il avait assassiné son prédécesseur, le pape Célestin V, en plantant un clou dans la tête de l’homme (une accusation contestée par une analyse médico-légale de 2013).
Il était probablement inévitable que les relations entre ces dirigeants au caractère bien trempé finissent par atteindre un point de rupture. « L’Europe ne pouvait pas contenir deux tels hommes », a observé l’historien Stephen Howarth dans son livre, Les Templiers.
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Les premières escarmouches
Leur épreuve de force a commencé en 1296, lorsque Boniface a publié un décret interdisant aux rois de taxer le clergé sans son consentement. Philippe, qui a constamment besoin de liquidités et considère la fiscalité comme son droit légal, riposte en interdisant l’exportation d’or, d’argent et d’autres objets de valeur sans son approbation, une mesure destinée à priver le pape des dons des catholiques français.
En 1301, Philippe alla plus loin, arrêtant un évêque français proche de Boniface sur un assortiment d’allégations bidon. Boniface riposta en publiant une « bulle », ou document officiel, exigeant la libération de l’évêque, affirmant son pouvoir légitime sur Philippe et menaçant le roi de sanctions. Comme pour souligner sa position supérieure, Boniface intitula la bulle Ausculta Fili, ce qui signifie en latin « Écoute, mon fils ».
Au printemps 1303, le conflit prend une tournure plus inquiétante.
C’est alors que Philippe convoque une assemblée appelée les États généraux, pour faire valoir que Boniface n’est pas un pape légitime et qu’il doit être démis de ses fonctions. Comme preuve, lui et ses conseillers ont compilé une liste étonnante d’allégations contre Boniface, y compris l’hérésie, le blasphème, la sodomie, la sorcellerie – et même le fait de ne pas jeûner les jours de jeûne, note l’historienne Barbara W. Tuchman dans son livre, A Distant Mirror : The Calamitous 14th Century.
En attendant, Boniface se préparait à utiliser la punition la plus sévère à sa disposition et à excommunier publiquement Philippe de l’église. Il rédigea une déclaration qu’il avait l’intention de publier le 8 septembre. Mais avec seulement un jour d’avance, ses ennemis se sont jetés sur lui.
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Kidnap sa sainteté…ou le tuer ?
Cet été-là, Philippe en avait assez de la guerre des mots et décida qu’il était temps d’agir militairement. Il confia la tâche à son homme de main de longue date, William de Nogaret.
De Nogaret avait déjà trouvé un allié en la personne de Sciarra Colonna, membre d’une puissante famille romaine dont les terres avaient été confisquées par l’armée du pape lors d’un différend concernant une cargaison d’or volée. Ensemble, les deux hommes ont amassé une armée de plusieurs centaines de soldats. L’objectif de De Nogaret était d’enlever Boniface et de l’amener en France pour qu’il y soit jugé pour ses supposés crimes. Colonna voulait simplement le tuer.
Au début du mois de septembre 1303, le groupe atteignit Anagni, une ville au sommet d’une colline à environ 40 miles de Rome, où le pape séjournait. Ils franchirent les portes de la ville sans opposition le 7 septembre, grâce à des traîtres à l’intérieur.
Bien que tous ses cardinaux sauf deux l’aient déserté, Boniface réussit à négocier une trêve de neuf heures avec Colonna, espérant que les habitants de la ville le sauveraient. Comme cela ne se produit pas, Colonna lui présente une liste d’exigences écrites, dont celle de renoncer à la papauté. Sans surprise, Boniface refuse.
Voyant maintenant qu’il n’avait aucune chance de s’échapper, « le vénérable pontife se retira dans ses appartements et y attendit la mort », a écrit Dom Louis Tosti, un moine bénédictin du XIXe siècle, dans une biographie flatteuse de Boniface.
Les armées assaillantes ne parvinrent pas à enfoncer les portes du palais lourdement fortifié de Boniface, mais elles trouvèrent une autre entrée par la cathédrale d’Anagni attenante, qu’elles incendièrent.
Les récits diffèrent sur ce qui s’est passé ensuite. Le biographe sympathique, Tosti, affirme que Boniface a revêtu ses habits pontificaux, a mis la tiare papale sur sa tête, « est monté sur son trône et s’est assis là. »
Sientôt, Colonna et De Nogaret sont sur les lieux, ce dernier aurait tiré Boniface de son trône, tout en lui disant : « Nous venons vous conduire captif à Lyon, pour vous priver de la dignité de pape. » Selon certains récits, Colonna ou De Nogaret aurait giflé Boniface au visage. L’historien Dan Jones, dans son livre de 2017, The Templars : The Rise and Spectacular Fall of God’s Holy Warriors, est sceptique quant à la légende de la gifle mais suggère que les ravisseurs de Boniface l’ont « malmené ». Heureusement pour Boniface, cependant, De Nogaret semble être intervenu lorsque Colonna a proposé de l’achever avec un poignard.
Ils ont gardé Boniface prisonnier pendant les trois jours suivants, tandis que les envahisseurs saccageaient son palais et se disputaient sur ce qu’il fallait faire de lui. Puis les habitants, apparemment frappés par un accès de conscience, vinrent finalement au secours de Boniface et repoussèrent les envahisseurs.
Lorsque la nouvelle de cet épisode parvint à Rome, un contingent de chevaliers arriva pour escorter Boniface en toute sécurité jusqu’au Vatican. Mais l’épreuve de trois jours avait fait des ravages. Le pontife, déjà en mauvaise santé, mourut un mois plus tard au Vatican et fut enterré dans une tombe sur place.
Les pommes de discorde
Normalement, l’histoire devrait s’arrêter là. Mais Philippe, toujours déterminé à détruire la réputation de Boniface, n’avait pas fini.
Le successeur immédiat de Boniface en tant que pape était Benoît XI, qui mourut soudainement huit mois après avoir pris ses fonctions – peut-être après avoir été empoisonné sur les ordres de Philippe ou de De Nogaret. En 1305, un archevêque français nommé Bertrand de Got a été élu pape, une décision dans laquelle le roi français rusé a probablement eu une main.
Sans surprise, le pape Clément V, comme on l’appelait désormais, s’est montré plus enclin que ses prédécesseurs italiens à suivre les ordres de Philippe. La même année où il devint pape, Clément déplaça sa cour de Rome en France ; en 1309, il la transféra à Avignon, qui fait maintenant partie de la France mais qui se trouvait alors juste à l’extérieur de la frontière française. Avignon restera le siège de la papauté pendant près de 70 ans avant son retour à Rome.
En attendant, Philippe harcela Clément pour qu’il fasse le procès de Boniface, désormais décédé. Il exigea également que les ossements de Boniface soient exhumés et brûlés.
Bien que Clément soit un Français et doive peut-être son poste au roi, il semble aussi avoir ressenti un devoir envers l’institution de la papauté. Il a temporisé pendant un certain temps mais, Philippe devenant de plus en plus impatient, il a finalement accepté en 1310 d’organiser un tribunal pour entendre les preuves contre Boniface.
Le tribunal, qui dura jusqu’à l’hiver 1311, écouta les défenseurs et les accusateurs de Boniface ; finalement, il ne parvint à aucune décision concernant sa culpabilité. Pour apaiser Philippe, Clément publia une bulle louant abondamment la piété du roi, annulant les ordres de Boniface contre lui et l’absolvant de toute faute dans l’enlèvement de 1303.
Comme pour Boniface, ses ossements ont échappé aux flammes de la colère de Philippe et résident maintenant paisiblement dans les grottes vaticanes de la basilique Saint-Pierre à Rome.