Extrait d’un article initialement publié, en français, dans la revue Politique américaine (n° 31, novembre 2018, p. 173-198).
Le Project for the New American Century-PNAC, fondé en 1997 par William Kristol et Robert Kagan, est généralement considéré comme un think tank principalement néoconservateur. L’un des principaux objectifs de l’organisation, active de 1997 à 2006, était de « promouvoir le leadership mondial américain » (PNAC 1997a). Pendant cette période, les membres du PNAC cherchaient à développer la politique américaine « néo-reaganienne » émergente. Selon leur « Déclaration de principes » publiée en juin 1997, la poursuite d’une telle politique étrangère fortement interventionniste et de clarté morale est le seul moyen de garantir la sécurité et la grandeur des États-Unis au XXIe siècle (PNAC 1997b).
Au cours de ses années d’activité, le PNAC a joué un rôle essentiel dans la construction et la consolidation du « réseau néoconservateur. » Partageant ses bureaux avec ceux du phare néoconservateur The Weekly Standard, tous deux logés dans les murs de l’American Enterprise Institute-AEI, le PNAC a réussi à se placer au cœur de ce réseau influent. Même si plusieurs non-néoconservateurs participaient activement à la vie de ce think tank, ce sont les idées néoconservatrices qui étaient portées et donc mises en avant par ce think tank, notamment à travers l’utilisation de » quelques études approfondies et monographies en plus des fameuses « lettres » qui ont contribué à le faire connaître » (Vaïsse 2008/2010, 231). Le PNAC cherchait à gagner « la guerre des idées » qui faisait rage parmi les grands décideurs américains.
L’objectif de cet article est d’examiner le rôle et la place de ce think tank néoconservateur controversé. Il vise à analyser le PNAC à travers le prisme du néoconservatisme, ou plus précisément, à travers le prisme de la dernière génération de cette école de pensée. Le PNAC semblait symboliser clairement ce que l’on appelle plus communément le « moment néoconservateur » au début des années 2000.
La naissance d’un think tank dans le contexte du renouveau du néoconservatisme
Le PNAC a été fondé en 1997 dans un contexte unique pour le néoconservatisme. Sa création est intervenue dans un moment d’après-guerre froide où l’école de pensée cherchait un second souffle. Le néoconservatisme est généralement associé à une politique étrangère « musclée » menée par l’administration de George W. Bush au début des années 2000. Pourtant, c’était plus que cela, car c’était aussi un mouvement complexe qui était loin d’être un développement récent.
Le néoconservatisme trouve ses origines idéologiques au cours des années 1930 sur la côte Est des États-Unis, plus précisément entre les murs du City College de New York (CCNY) (Dorman 2001). Cependant, c’est l’évolution d’un libéralisme de gauche américain, durant la seconde moitié des années 1960, qui a en fait donné naissance au néoconservatisme (Vaïsse 2008/2010). Les anciens étudiants trotskystes du CCNY, comme Irving Kristol, Daniel Bell ou Nathan Glazer, se sont fortement opposés au » virage à gauche » que prenait le libéralisme américain. C’est dans les années 1960 que le président Lyndon B. Johnson a lancé sa désormais célèbre « Grande Société ». L’objectif est alors de réduire les différentes inégalités au sein de la société américaine grâce à plusieurs programmes sociaux ambitieux. Surtout, le « consensus libéral » de l’après-guerre semble s’effondrer sous le poids de l’accent mis par la Nouvelle Gauche sur les questions identitaires. Pour ces intellectuels restés ancrés à gauche, c’est donc l’ensemble du libéralisme américain qui semble fragilisé par les mouvements des années 1960. C’est donc avant tout la politique intérieure qui provoque le rassemblement des premiers » néoconservateurs » (Harrington 1973), autour de The Public Interest ou de Commentary – seulement à partir de 1970 pour ce dernier (Vaïsse 2008/2010, 7).
Cependant, le néoconservatisme va rapidement se » focaliser sur la dérive libérale en politique étrangère » (Ibid., 9). Face à la politique de Détente propagée par Washington tout au long des années 1970, les néoconservateurs défendaient au contraire une ligne dure à l’égard de l’URSS. Selon eux, les Etats-Unis doivent agir afin de défendre la démocratie dans le monde. Ils « se considèrent comme les gardiens du « centre vital » : en faveur du progrès social et des libertés civiles à l’intérieur et de l’anticommunisme à l’extérieur » (Ibid., 8). Face à l’orientation du libéralisme américain en matière de politique intérieure et extérieure, une grande partie du mouvement rejoint les rangs de Ronald Reagan au début des années 1980. Ces penseurs ont été séduits par son approche intransigeante envers l’URSS et attirés par son appel global à la démocratie internationale. Comme l’observe Jacob Heilbrunn (2008, 162), Reagan « s’est lui-même converti au conservatisme, et il était naturel qu’il accueille de nouveaux convertis. » Pour les néoconservateurs, il s’agissait d’une occasion unique d’orienter la politique étrangère américaine vers une approche dure, fixée en grande partie grâce à une défense accrue de la démocratie dans le monde.
Cependant, la fin de la Guerre froide a entraîné la fin de l’ennemi de toujours des néoconservateurs : l’Union soviétique. Le début des années 1990 a donc marqué une période de doute indiscutable parmi les membres de cette école de pensée (Fukuyama 2006, 39). Les débats s’engagent sur le modèle de l’après-guerre froide, puis entre néoconservateurs, certains, comme Irving Kristol, prônant un retour au réalisme, d’autres, comme Joshua Muravchik, défendant en revanche une Amérique engagée dans le monde. Confrontés à l’évolution d’un contexte international, certains des premiers néoconservateurs annonçaient, alors et là, la fin du néoconservatisme (Kristol 1995, xi ; Podhoretz 1996).
Pourtant, une nouvelle génération ou un » troisième âge » (Vaïsse 2008/2010) de penseurs néoconservateurs a émergé. Elle rassemble des personnalités telles que William Kristol (fils d’Irving), Robert Kagan ou Max Boot. Contrairement à la génération précédente, ces néoconservateurs ne sont plus, pour la plupart, d’anciens penseurs libéraux convertis au conservatisme, mais des conservateurs à part entière. Ils défendent une politique étrangère américaine « néo-reaganienne » et vantent fièrement des thèmes tels que l' »hégémonie bienveillante » américaine ou la Pax Americana (Kagan et Kristol, 1996). L’émergence de cette nouvelle génération a été clairement illustrée par la création, en 1995, de The Weekly Standard, dont l’objectif premier était de rapprocher la ligne du Parti républicain, et plus généralement du conservatisme, des thèmes néoconservateurs. C’est précisément cette génération de néoconservateurs qui jouera un rôle important tout au long du début des années 2000 et qui, par conséquent, nous intéresse pour cet article.
Ainsi, le PNAC est né dans un contexte unique. Il constituait non seulement un soutien supplémentaire, mais s’inscrivait également dans une stratégie de renouvellement de cette école de pensée, sévèrement remise en cause depuis la fin de la guerre froide. En 1997, les « nouveaux néoconservateurs » bouillonnent d’excitation intellectuelle et cherchent un moyen optimal de diffuser leurs idées. Comme l’observe Maria Ryan : « Avec la création du PNAC, Kristol et Kagan disposaient désormais d’une plateforme qu’ils pouvaient consacrer exclusivement à la promotion de leur vision de la politique étrangère » (Ryan 2010, 90).
Un think tank au service des idées néoconservatrices
Le PNAC est rapidement devenu une organisation privilégiée parmi les néoconservateurs de la dernière génération. Résolument convaincus des bienfaits universels d’une démocratie libérale, les néoconservateurs se sont affirmés autour de l’idée de promouvoir une démocratie « musclée », prônant un Wilsonianisme « dur » (Boot 2004b, 24) ou « en bottes » (Hassner 2002, 43). Pour ces penseurs, » la situation actuelle rappelle le milieu des années 1970 » (Kagan et Kristol 1996, 19), période durant laquelle la Détente était populaire à Washington et où les décideurs américains privilégiaient généralement la stabilité globale au statu quo. Cependant, Kristol et Kagan observent que « Reagan a appelé à la fin de la complaisance face à la menace soviétique, à une forte augmentation des dépenses de défense, à la résistance aux avancées communistes dans le tiers-monde, et à une plus grande clarté morale et à un plus grand objectif dans la politique étrangère américaine » (Ibid.). Ainsi : « Il a défendu l’exceptionnalisme américain alors que celui-ci était profondément démodé. Le plus important est peut-être qu’il a refusé d’accepter les limites de la puissance américaine imposées par les réalités politiques intérieures que d’autres considéraient comme fixes » (Ibid.). C’est exactement ce type qui, selon eux, était le plus approprié dans un monde international post-Guerre froide. Par conséquent, ils préconisaient une « hégémonie bienveillante » américaine : « Le premier objectif de la politique étrangère américaine devrait être de préserver et d’accroître cette prédominance en renforçant la sécurité de l’Amérique, en soutenant ses amis, en faisant avancer ses intérêts et en défendant ses principes dans le monde entier » (Ibid., 20).
À cet égard, ces idées peuvent être clairement vues et présentées dans la déclaration de déclaration de l’organisation (PNAC 1997b), « un nouveau manifeste qui résumait succinctement la vision de Kristol-Kagan » (Ryan 2010, 88). Le PNAC découle d’une croyance simple : » La politique étrangère et de défense américaine est à la dérive » (PNAC 1997b). Dès lors, pour les signataires : » Nous semblons avoir oublié les éléments essentiels du succès de l’administration Reagan : une armée forte et prête à relever les défis actuels et futurs ; une politique étrangère qui promeut avec audace et détermination les principes américains à l’étranger ; et un leadership national qui accepte les responsabilités mondiales des États-Unis » (Ibid.). Pour le PNAC, il s’agissait de réaffirmer la puissance américaine dans le monde de l’après-guerre froide. Depuis les années 1990, l’Amérique semblait, aux yeux du reste du monde, ne plus se hisser au niveau de » superpuissance « , mais à celui d’une » hyperpuissance » (Védrine 1999/2000, 814). Pour les membres du PNAC, cette situation « unipolaire » (Krauthammer 1990/1991) confère aux Etats-Unis un nouveau rôle, celui de « maintenir la paix et la sécurité en Europe, en Asie et au Moyen-Orient » (PNAC 1997b). Simultanément entre en scène à cette époque le thème de la » guerre préventive « , qui sera constitutif de la doctrine Bush au début des années 2000 (Ibid.).
La majorité des travaux du PNAC a été consacrée à la légitimation et à la diffusion des idées néoconservatrices de la fin du XXe siècle, comme en témoigne la lettre précitée adressée en 1998 au président de l’époque, Bill Clinton. Les signataires souhaitaient alerter le Président sur la situation en Irak. Selon eux, « la politique américaine actuelle à l’égard de l’Irak n’aboutit pas » et les Etats-Unis « pourraient bientôt être confrontés à une menace au Moyen-Orient plus grave que toutes celles » qu’ils ont connues « depuis la fin de la guerre froide » (PNAC 1998a ; voir aussi PNAC 1998b). Il était donc naturel pour les Etats-Unis de renverser le régime de Saddam Hussein, afin de contribuer à la propagation des principes démocratiques dans la région et plus généralement, dans le monde entier (Kaplan et Kristol 2003). Différentes questions préoccupaient simultanément le PNAC, dont le conflit dans les Balkans (PNAC 1998c), la situation en Asie (PNAC 1999 ; PNAC 2002b), la défense du budget militaire américain (PNAC 2000 ; PNAC 2003) et bien sûr, la guerre contre le terrorisme. A cet égard, la célèbre lettre du PNAC adressée au président George W. Bush au lendemain du 11 septembre 2001 (PNAC 2001) a consolidé l’ensemble des grands dossiers de la « dernière génération » de néoconservateurs. Pour gagner la » guerre contre la terreur « , les signataires ont défini plusieurs étapes clés : capturer et éliminer Oussama Ben Laden, renverser le régime de Saddam Hussein, cibler le Hezbollah, défendre Israël et forcer l’Autorité palestinienne à éradiquer le terrorisme et, enfin, renforcer substantiellement le budget de la défense des États-Unis.
De cette manière, le PNAC a agi comme un catalyseur des différentes idées néoconservatrices de la » dernière génération « . Surtout, la vision du PNAC en matière de politique étrangère semblait en parfaite harmonie avec celle du premier mandat de George W. Bush, comme en témoignent les interventions américaines en Afghanistan en 2001 et surtout en Irak en 2003. Pour ses membres, rien ne pourrait jamais entraver la marche toujours régulière de la puissance américaine. Cependant, la situation en Irak est rapidement devenue gênante pour les néoconservateurs.
La fin du think tank : Symbole des difficultés du néoconservatisme?
Si le début de l’intervention américaine de 2003 en Irak symbolise, à certains égards, l’apogée des néoconservateurs de la dernière génération, la série d’événements malheureux qui ont suivi a décidément marqué son déclin. Les critiques se sont rapidement multipliées à l’encontre du néoconservatisme. Selon Elizabeth Drew, les néoconservateurs sont « largement responsables » (Drew 2003) de la guerre en Irak et, surtout, de ses conséquences. Ainsi, comme l’a observé Max Boot, depuis le début des années 2000, « une frénésie s’est emparée de la manière dont les néoconservateurs ont prétendument détourné la politique étrangère de l’administration Bush et transformé l’Amérique en un monstre unilatéral » (Boot 2004a). Certains de ces critiques sont même allés jusqu’à dénoncer l’idée d’une « cabale » organisée par les membres du mouvement (Buchanan 2003 ; LaRouche 2004). Les néoconservateurs ont tenté à de multiples reprises de défendre l’école de pensée néoconservatrice contre ces accusations, qui provenaient tant de la gauche que de la droite (Boot 2004a ; Boot 2004b ; Brooks 2004a ; Muravchik 2003). Même s’il n’y avait pas une telle « conspiration néoconservatrice » (Lieber 2003), il est clair que les idées néoconservatrices ont joué un rôle important dans la politique étrangère de l’administration Bush.
Au sein du mouvement intellectuel, l’euphorie ressentie initialement au début de l’invasion a rapidement été remplacée par le doute. Confrontés à la réalité de la situation, les néoconservateurs critiquaient Donald Rumsfeld qui, selon eux, n’était clairement pas « le secrétaire à la défense que Bush devrait vouloir avoir pour le reste de son second mandat » (Kristol 2004). La majorité des néoconservateurs soulignent le manque de troupes envoyées par le secrétaire américain à la Défense et dénoncent la manière dont l’administration américaine envisage le nation-building et la reconstruction de l’Irak (Brooks 2004b). Certains ont même tenté de réfuter l’existence du néoconservatisme, niant ainsi toute forme de responsabilité de cette école de pensée dans l’échec irakien (Heilbrunn 2008, 269). Des tensions internes sont apparues, ou du moins sont devenues publiques. Par exemple, lorsque Charles Krauthammer a prononcé son discours de déclaration de victoire en février 2004, à l’AEI (Krauthammer 2004), Fukuyama, qui a été considéré pendant un temps comme l’un des principaux néoconservateurs, a fortement critiqué l’orateur. Pour l’auteur de la célèbre thèse de la « fin de l’histoire » (Fukuyama 1989 ; Fukuyama 1992), le discours de Krauthammer était » étrangement déconnecté de la réalité » et » on a l’impression que la guerre d’Irak – l’archétype de l’application de l’unipolarité américaine – a été un succès sans réserve » (Fukuyama 2004, 58). Selon Fukuyama (2006), l’ensemble des complications et surtout l’incapacité pour la majorité des néoconservateurs de la dernière génération d’admettre les nombreuses erreurs menaçaient les points majeurs défendus par le néoconservatisme.
Le PNAC a donc cessé toute activité en 2006. L’organisation s’est effondrée sous la pression des difficultés contemporaines rencontrées par les néoconservateurs et de la ligne « agressive » qu’elle défendait sur la scène internationale. Cependant, pour certains néoconservateurs, la fermeture du PNAC ne doit pas être interprétée comme une forme d’échec. Gary Schmitt, l’ancien directeur du PNAC a déclaré : « Lorsque le projet a démarré, il n’était pas prévu qu’il dure éternellement. C’est pourquoi nous l’arrêtons. Nous aurions dû passer trop de temps à collecter des fonds pour lui et il a déjà fait son travail », c’est-à-dire « ressusciter une politique reaganienne » (Reynolds 2006) pour les Etats-Unis. En effet, le PNAC a réussi son objectif de réorientation de la politique étrangère américaine (Vaïsse 2008/2010, 258). Cela dit, cela ne doit pas masquer les profondes difficultés auxquelles le mouvement a été confronté à l’époque, et si l’on en croit Paul Reynolds, le PNAC également. Les objectifs annoncés en 1997 avec la déclaration de l’organisation, pour Reynolds, » se sont transformés en déception et en récriminations au fur et à mesure que la crise en Irak a pris de l’ampleur » ; le PNAC étant ainsi réduit à l’heure actuelle » à une boîte vocale et à un site web fantôme. Un seul employé a été laissé pour emballer les choses » (Reynolds 2006).
L’échec du PNAC reflète l’effondrement progressif des néocons et des idées qu’ils défendaient. Cette période marque en fait le retour à un point de vue plus réaliste au sein de la présidence. Globalement, les néoconservateurs ne semblent plus avoir le vent en poupe dans la société américaine. Les élections de mi-mandat de 2006 ont parfaitement symbolisé le rejet des points de vue néoconservateurs. La politique étrangère américaine au Moyen-Orient semble être sévèrement critiquée. Comme l’observe Jacob Heilbrunn : « Les accusations de cynisme et de corruption ont collé au GOP, mais la guerre en Irak a clairement été le facteur le plus important pour priver les républicains du contrôle des deux chambres du Congrès » (Heilbrunn 2008, 269). Face à ces difficultés, de nombreuses voix se sont élevées pour déclarer, à partir du milieu des années 2000, la fin du néoconservatisme américain (Ikenberry 2004 ; Dworkin 2006). Les élections de 2008 et la victoire de Barack Obama au détriment de John McCain, considéré comme proche du mouvement néoconservateur, ont largement confirmé le déclin des néoconservateurs.
Du PNAC à la Foreign Policy Initiative (FPI) : Last Throes or Veritable Resurgence?
En 2009, William Kristol, Robert Kagan et Dan Senor ont fondé la Foreign Policy Initiative-FPI, qui a souvent été comparée au PNAC (Rozen 2009). Les similitudes entre le PNAC et cette organisation sont en effet frappantes.
Tout d’abord, ses fondateurs mêmes, William Kristol et Robert Kagan étaient, comme vu précédemment, les principaux fondateurs du PNAC en 1997. En outre, parmi les personnalités de premier plan de la FPI, il y avait, par exemple, Dan Senor, une « étoile montante » parmi la « jeune garde » néoconservatrice de l’époque, Ellen Bork qui, en tant que membre du PNAC, a signé plusieurs lettres émanant de l’organisation (PNAC 2002a ; PNAC 2002b) et même Chris Griffin, qui était surtout connu pour être chercheur à l’AEI, un organisme étroitement lié.
Mais, au-delà de l’équipe dirigeante du FPI, c’est le contenu idéologique de ce nouveau think tank qui rappelait le PNAC. Le FPI estimait, tout autant que le PNAC, que le monde de l’après-guerre froide était loin d’être considéré comme pacifié. Aux nombreuses voix qui espéraient, surtout après le « fiasco irakien », un retrait progressif de la puissance militaire américaine dans le monde, les membres du FPI étaient convaincus de la nécessité d’un engagement américain accru dans le monde. Selon sa » Déclaration de mission « , » la surenchère stratégique n’est pas le problème et le repli n’est pas la solution » (FPI 2009a). Au contraire : « Les États-Unis ne peuvent pas se permettre de tourner le dos à leurs engagements internationaux et à leurs alliés – les alliés qui nous ont aidés à vaincre le fascisme et le communisme au XXe siècle, et les alliances que nous avons forgées plus récemment, notamment avec les citoyens nouvellement libérés d’Irak et d’Afghanistan » (Ibid.). Ici, il est difficile de ne pas remarquer la rhétorique clairement néoconservatrice du PNAC. Les États-Unis avaient l’obligation morale de maintenir la paix et la sécurité internationales. Dans l’ensemble, il semble que, finalement, rien n’ait vraiment changé. La déclaration de mission du FPI peut être résumée autour de cinq principes clés:
« l’engagement continu des États-Unis – diplomatique, économique et militaire – dans le monde et le rejet des politiques qui nous mèneraient sur la voie de l’isolationnisme ; un soutien solide aux alliés démocratiques de l’Amérique et une opposition aux régimes voyous qui menacent les intérêts américains ; les droits de l’homme de ceux qui sont opprimés par leurs gouvernements, et le leadership des États-Unis dans le travail de diffusion de l’information politique et économique. leadership dans le travail pour répandre la liberté politique et économique ; une armée forte avec le budget de défense nécessaire pour s’assurer que l’Amérique est prête à faire face aux menaces du 21ème siècle ; l’engagement économique international comme un élément clé de la politique étrangère américaine en cette période de grande dislocation économique » (Ibid.).
Il semble donc que la vision portée par les membres du PNAC ait perduré et ait simplement été actualisée pour apparaître dans ce think tank post-George W. Bush.
Le mode de fonctionnement du FPI était grandement similaire à celui de son prédécesseur. Le think tank organisait de multiples conférences et il publiait des articles, des notes et divers dossiers afin d’influencer le débat public, et surtout, de positionner la posture idéologique de l’administration américaine. Le FPI a surtout repris la » marque de fabrique » du PNAC en publiant des lettres ouvertement adressées aux grands décideurs politiques du pays, notamment au Président des Etats-Unis, sur des questions telles que la démocratie et les droits de l’homme en Russie, en Afghanistan, voire en Europe centrale (FPI 2009b ; FPI 2009c ; FPI 2009d). En plus de rassembler de nombreux néoconservateurs, il permettait également, comme ce fut le cas pour le PNAC, d’attirer des » faucons » de tous horizons.
Les membres du FPI s’opposaient généralement à la nouvelle configuration de la politique étrangère américaine défendue par le président Barack Obama, qui discutait avec les puissances émergentes plutôt que de promouvoir, selon eux, le leadership américain dans le monde. Ainsi, globalement, tout au long de ses deux mandats, le 44ème président des Etats-Unis a déçu les néoconservateurs sur un grand nombre de projets, même si » l’opposition n’est pas totale » (Vaïsse 2010, 11). Certaines idées défendues par les néoconservateurs sont restées présentes dans les différentes sphères politiques et ont continué à exister dans le débat public tout au long de la présidence d’Obama (Ibid. ; Homolar-Riechmann 2009). Mais, d’une manière générale, il est indéniable que le néoconservatisme et le FPI ont eu beaucoup de mal, dans le monde post-George W. Bush ou » post-américain » (Zakaria 2008) en constante évolution, à se faire entendre auprès des nouveaux décideurs politiques américains. Le « moment néoconservateur » semblait avoir fait long feu.
L’élection de Donald Trump à la présidence américaine en 2016 a constitué un nouveau revers pour l’organisation, car cette élection, et notamment le slogan « America First », est apparue comme l’antithèse de la vision de la politique étrangère du FPI. C’est donc dans ce contexte que le FPI a annoncé en 2017 sa fermeture (FPI 2017). Si de multiples raisons peuvent être invoquées, plus particulièrement celles d’ordre financier (Gray 2017), nul ne doute que cette élection de Donald Trump a porté un coup massif au projet néoconservateur de l’après-guerre froide.
Conclusion
Le PNAC a incontestablement représenté le » moment néoconservateur » de l’après-guerre froide et a joué un rôle important dans le renouveau intellectuel du néoconservatisme durant la seconde moitié des années 1990 (Dworkin 2006). Son apogée coïncide avec celle du néoconservatisme en général, c’est-à-dire le début des années 2000 où l’administration Bush semble suivre une politique étrangère fortement inspirée par la pensée néoconservatrice. Si certains observateurs considèrent à juste titre que le bilan du PNAC est globalement positif, l’organisation ayant rempli sa mission première de réorientation de la politique étrangère américaine, sa fermeture s’inscrit néanmoins dans le cadre global du déclin de l’audience du néoconservatisme américain et du discrédit de la pensée néoconservatrice. Le PNAC a donc d’une certaine manière contribué autant à l’ascension qu’au déclin du néoconservatisme » nouvelle génération « . Les différents désaccords entre néoconservateurs à partir de 2004 ont eu un impact incontestable sur le think tank qui, jusqu’alors, semblait rassembler tout le monde. Surtout, la situation internationale venait de discréditer largement les idées néoconservatrices que le PNAC défendait. Sa fermeture en 2006, quelles qu’en soient les raisons, doit donc être vue à travers un déclin global du néoconservatisme américain.
Malgré une activité considérable et le travail sur certains projets, son successeur, le FPI, a globalement échoué dans ses tentatives de repositionnement de la politique étrangère américaine. Ainsi, il n’a jamais réellement réussi à être un influenceur aussi égal, du moins lorsqu’il s’agissait de promouvoir ses idées, que son prédécesseur. Si le « moment néoconservateur » de l’après-guerre froide semble donc terminé, il ne fait cependant aucun doute que les idéaux néoconservateurs continueront d’exister.
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