Mais Tarkovski est aussi un maître. Avec Bergman, il est l’un des cinq cinéastes vivants qui se sont préoccupés principalement des questions ultimes de la moralité humaine (les autres sont Akira Kurosawa, Satyaijit Ray et Robert Bresson). Il est le plus grand cinéaste russe depuis Sergueï Eisenstein, et pourtant il se tient à l’écart de la tradition soviétique du matérialisme et ose dire qu’il est spirituel, qu’il peut « encore être appelé par une voix intérieure ». De nos jours, il faut plus de courage à un artiste pour admettre ses croyances spirituelles que pour les nier.
Lorsque Tarkovsky a réalisé « Le Sacrifice », il savait qu’il était gravement malade. Aujourd’hui, il se meurt dans un hôpital parisien d’une tumeur au cerveau. Il n’a pas choisi un petit sujet pour sa déclaration finale. Son film parle d’un homme qui apprend, ou rêve, que les bombardiers sont partis pour déclencher la troisième guerre mondiale. Il offre sa propre vie en sacrifice, si seulement sa famille peut être épargnée.
Le film n’est pas facile à regarder, et il est long à supporter. Pourtant, une certaine joie brille à travers la difficulté. Tarkovsky s’est manifestement détaché de toute idée de divertir le public et a décidé, dans son dernier testament, de dire exactement ce qu’il veut, dans le style qu’il veut.
Il utilise un grand nombre de longs plans – à la fois longs en durée, et avec de grandes distances entre la caméra et les sujets. Les longs plans inspirent la réflexion au public. Nous ne sommes pas si proches que nous soyons obligés de nous identifier à un personnage. Nous prenons du recul, nous voyons tout, et nous avons le temps d’y réfléchir. Le film ne fonce pas tête baissée vers sa conclusion, prenant notre accord pour acquis. Il y a des espaces entre les événements qui sont suffisamment grands pour que nous puissions nous demander si nous ferions ce que l’homme du film fait.