La Cour internationale de justice doit peser sur le différend territorial de longue date entre le Belize et le Guatemala. Le Belize a probablement le dessus.
Depuis son indépendance en 1821, le Guatemala a refusé de reconnaître tout ou partie du Belize, son petit voisin anglophone. Mais en vertu d’un accord conclu en 2008, ce différend territorial de longue date sera bientôt porté devant la Cour internationale de justice de La Haye. Cet accord exigeait que chaque pays organise un référendum sur le recours à la CIJ, ce que les Béliziens ont approuvé au début du mois ; les Guatémaltèques l’ont fait en avril 2018. Dans une interview par courriel avec WPR, Victor Bulmer-Thomas, professeur honoraire à l’Institut des Amériques de l’University College London, explique les racines historiques du différend et pourquoi le Belize aura le dossier le plus solide à la CIJ.
World Politics Review : Pourquoi le Belize et le Guatemala n’ont-ils pas été en mesure de parvenir à un accord sur une frontière commune, et comment ce différend a-t-il affecté les relations bilatérales depuis l’indépendance du Belize en 1981 ?
Victor Bulmer-Thomas : Le différend territorial et maritime entre le Belize et le Guatemala a été hérité par les deux pays de leurs précédentes puissances coloniales, le Royaume-Uni et l’Espagne. Après sa conquête de la région, l’Espagne a revendiqué la souveraineté sur toute l’Amérique centrale. Les colons britanniques et leurs esclaves sont arrivés dans l’actuel Belize au XVIIe siècle, mais ils étaient considérés comme des hors-la-loi par l’Espagne. La couronne espagnole a signé plusieurs traités avec la Grande-Bretagne au cours du 18e siècle, accordant certains droits aux colons mais conservant la souveraineté.
Au moment où le Guatemala a obtenu son indépendance en 1821, cependant, les colons avaient repoussé les frontières de ce qui allait devenir l’État du Belize vers le sud, et le gouvernement britannique a persuadé le nouveau gouvernement guatémaltèque de signer un traité frontalier en 1859. Trois ans plus tard, le gouvernement britannique établit officiellement la colonie du Honduras britannique ; elle changea son nom en Belize en 1973.
Ce traité anglo-guatémaltèque fut ratifié par les deux parties, mais il fut abrogé unilatéralement par le Guatemala en 1939 au motif que la partie britannique n’avait pas respecté l’un des articles. Le Guatemala revendique désormais l’ensemble du territoire et refuse de reconnaître le Belize lorsque celui-ci devient indépendant en 1981, avec une garantie de défense fournie par le Royaume-Uni.
Le Guatemala reconnaît finalement le Belize une décennie plus tard, et la garantie de défense britannique prend fin. Mais il est vite apparu que le Guatemala n’acceptait toujours pas les frontières, revendiquant environ la moitié du territoire du Belize. Des négociations bilatérales infructueuses se sont poursuivies jusqu’en 2008, date à laquelle un accord spécial a été signé, engageant les deux parties à porter le différend devant la Cour internationale de justice, sous réserve d’un référendum dans chaque pays approuvant la décision.
WPR : Quelles sont les implications politiques intérieures de la décision de demander l’arbitrage de la CIJ, tant pour le Belize que pour le Guatemala ?
Bulmer-Thomas : La décision d’aller devant la CIJ est beaucoup plus controversée au Belize qu’au Guatemala. C’est compréhensible, car le Belize risque de perdre une grande partie du territoire qu’il occupe déjà, alors que le Guatemala ne risque que de perdre une revendication sur un territoire qu’il ne possède pas réellement.
L’asymétrie de l’opinion publique entre les deux pays a été confirmée par les deux campagnes référendaires. Au Guatemala, le gouvernement n’a pratiquement joué aucun rôle. La campagne du « oui » en faveur de l’arbitrage de la CIJ a été menée par la société civile, en particulier les organisations non gouvernementales, et elle a prévalu avec un étonnant 95 % des voix. Le taux de participation n’a été que de 25 %, et bien que cela ne soit pas inhabituel au Guatemala, cela indique que la question n’était pas considérée comme particulièrement importante.
En revanche, la campagne au Belize a été semée de difficultés et de politiques litigieuses. À l’origine, le vote aurait dû avoir lieu le même jour que celui du Guatemala, mais le gouvernement du Belize l’a retardé d’un an, en partie par crainte de voir la campagne du « oui » perdre. L’accord spécial conclu avec le Guatemala en 2008 était le fruit d’un effort bipartite entre les deux principaux partis du pays, mais le Parti uni du peuple (PUP) a perdu les élections cette année-là au profit du Parti démocratique uni (UDP), ce qui a mis fin à cette courtoisie. Le PUP, toujours dans l’opposition, a annoncé début 2019 qu’il ferait campagne pour le « non », obligeant l’UDP à peser de tout son poids en faveur du « oui ».
Le PUP a également fait appel à la justice pour reporter, voire annuler, le référendum au motif qu’il était inconstitutionnel. Cela a entraîné un nouveau retard d’un mois avant que le vote ne soit finalement organisé le 8 mai, dans une atmosphère de rivalité politique intense. Malgré des sondages d’opinion dans les mois et les semaines précédant le référendum indiquant une victoire de la campagne du « non », le résultat final a été de 55 à 45 pour cent en faveur du recours à la CIJ, avec une participation de 65 pour cent.
Avec les élections générales prévues l’année prochaine, les deux principaux partis reconnaissent maintenant qu’ils doivent reprendre une approche bipartisane de l’affaire de la CIJ. Ceci est aidé par le fait que plusieurs figures de proue du PUP ont effectivement voté « oui ». Le PUP reconnaît également qu’il pourrait revenir au gouvernement lors des élections de 2020, et qu’il serait alors chargé d’appliquer la décision du peuple bélizien d’aller devant la CIJ.
WPR : Comment la CIJ est-elle susceptible de se prononcer sur le différend territorial entre le Belize et le Guatemala ? Quels principes juridiques internationaux appliquera-t-elle pour prendre une décision ?
Bulmer-Thomas : L’article 2 de l’accord de 2008 limite les types d’arguments que les juges peuvent prendre en compte. Ils ne pourront appliquer que les conventions internationales et les principes bien établis du droit international, ainsi que les précédents juridiques. Cela signifie que les juges ne pourront pas examiner l’affaire sur la base du principe ex aequo et bono, un principe juridique permettant d’arbitrer une affaire sur la base de l’équité plutôt que de la lettre de la loi. Il aurait permis au Guatemala de faire valoir, par exemple, que sa relation inégale avec le Royaume-Uni en 1859 l’a désavantagé lors de la négociation du traité anglo-guatémaltèque.
Les juges vont donc d’abord examiner les traités internationaux pertinents, dont le plus important est celui signé en 1859. Il précise les frontières du Belize de manière assez détaillée et, si le tribunal juge le traité valide, il réglera en grande partie l’affaire. Étant donné que le traité de 1859 a été ratifié par les deux parties et mis en œuvre par le Guatemala pendant 80 ans, que le Guatemala n’a jamais occupé la moindre partie du Belize et que les frontières du Belize ont été reconnues par pratiquement tous les États indépendants, il est presque certain que la décision finale de la Cour confirmera les frontières territoriales actuelles du Belize. Toutefois, les frontières maritimes méridionales du Belize chevauchent non seulement celles du Guatemala, mais aussi celles du Honduras, de sorte que la CIJ devrait appliquer la Convention des Nations unies sur le droit de la mer pour régler cette question.