Mon père m’a dit un jour que le monde est divisé en deux sortes de personnes : ceux qui croient que le monde est divisé en deux sortes de personnes et ceux qui ne le croient pas. Quelle que soit votre position sur cette question particulière, il est clair qu’il existe une impulsion humaine commune – bien que pas toujours saine – pour classer les objets en groupes. En biologie, cette tâche incombe aux taxonomistes, dont le travail consiste à classer les organismes vivants (et autrefois vivants) en espèces, les espèces en genres, les genres en familles, et ainsi de suite. Ils le font non seulement pour satisfaire une impulsion à classer, mais aussi parce que cela nous dit quelque chose sur le rythme de l’évolution et les facteurs qui la contrôlent.
Les taxonomistes sont un lot admirablement prudent et modeste. Beaucoup passent une carrière à trier la taxonomie d’un ou deux groupes. Ces dernières années, cependant, un effort a été fait pour aller plus loin et dire quelque chose sur le nombre total d’espèces au sein de grands groupes comme les poissons ou dans de grandes parties de la planète comme l’océan. Cet effort va au-delà de la taxonomie traditionnelle : il s’interroge sur les espèces qui n’ont pas encore été découvertes.
Surprenant, même le nombre d’espèces dans l’océan qui ont déjà été identifiées est incertain. Cela est dû au fait que, jusqu’à récemment, personne n’a essayé de cataloguer systématiquement les milliers d’articles, de monographies et autres rapports cachés dans les laboratoires et les bibliothèques du monde entier – dont certains sont très difficiles à trouver – qui décrivent de nouvelles espèces. Les efforts déployés pour estimer le nombre total d’espèces présentes dans les océans ont notamment permis de regrouper ces données dans des bases de données telles que le Registre mondial des espèces marines (WoRMS), qui contient aujourd’hui environ 226 000 noms d’espèces (à l’exclusion des bactéries, des virus et des archées). Mais comment estimer le nombre d’espèces non découvertes ?
Une approche est basée sur la courbe espèces-zone, qui résume comment le nombre d’espèces dans une région augmente avec la superficie de la région. En voyant comment les espèces s’accumulent au fur et à mesure que la surface couverte par les relevés taxonomiques augmente, les biologistes peuvent faire des estimations sur le nombre d’espèces présentes dans une région dont la surface est aussi grande que l’océan. Un gros problème avec cette approche est que la zone totale couverte par les enquêtes taxonomiques est une partie minuscule de l’océan, et donc différentes méthodes de prédiction peuvent donner des réponses très différentes.
Une autre approche populaire utilise la façon dont les découvertes d’espèces s’accumulent avec le temps pour estimer les découvertes futures. Pour certains groupes, comme les mammifères marins, le taux de découverte a chuté rapidement et il ne reste peut-être plus beaucoup d’espèces non découvertes. Cependant, pour d’autres groupes, comme les invertébrés, le taux de découverte a en fait augmenté régulièrement au fil du temps, de sorte qu’une estimation basée sur ce taux en constante augmentation est essentiellement infinie. Mais cette méthode présente un problème plus fondamental : l’enregistrement des découvertes sur lequel cette approche est basée est le produit de l’activité humaine, et non d’un quelconque processus naturel.
En termes approximatifs, les estimations du nombre d’espèces non découvertes dans l’océan vont de quelques centaines de milliers (NDLR : comme une estimation récente, impliquant des scientifiques du NMNH) à plus de 10 millions. Ma propre préférence va au côté élevé car, chaque fois que vous regardez dans une nouvelle partie de l’océan, vous trouvez presque toujours de nombreuses nouvelles espèces.
Note de l’éditeur : Renseignez-vous sur le Census of Marine Life : un projet de 10 ans où des scientifiques du monde entier ont essayé de découvrir et de cataloguer autant d’espèces océaniques que possible – découvertes ou non – et ont estimé la quantité de travail qui reste à faire.