Soumission de Michel Houellebecq critique – une satire plus subtile qu’il n’y paraît

Quelques heures après la sortie de Soumission de Michel Houellebecq en France, des hommes armés ont fait irruption dans les locaux de Charlie Hebdo et ont assassiné 12 personnes, dont huit journalistes. Parmi les victimes figure l’économiste Bernard Maris, l’un des plus proches amis de Houellebecq. La couverture de Charlie Hebdo cette semaine-là montrait un Houllebecq grotesque et lubrique prédisant qu’en 2022 (date de Soumission) il observerait le ramadan. Laurent Joffrin, rédacteur en chef de Libération, a écrit que Soumission « marquera la date dans l’histoire où les idées de l’extrême droite ont fait un grand retour dans la littérature française sérieuse », et des gardes armés ont été placés dans les bureaux des éditeurs de Houellebecq.

Soumission est à la fois une satire plus subtile et moins immédiatement scandaleuse que le brouhaha qui l’entoure pourrait le suggérer. Plutôt que d’être une vision sombre d’un monde dirigé par des mollahs fous, il présente les musulmans modérés qui s’emparent de la France comme une force d’intégrité spirituelle et de verve révolutionnaire, « une opportunité historique pour le réarmement moral et familial de l’Europe » ; les véritables cibles du livre sont les institutions hypertrophiées de la France, ses politiciens vénaux, sa scène littéraire sclérosée. Dans Ennemis publics, son échange de lettres avec le philosophe Bernard Henri-Lévy, Houellebecq se décrit comme « Nihiliste, réactionnaire, cynique, raciste, misogyne éhonté… un auteur quelconque sans style. » Comme c’est le cas dans ses romans précédents, notamment La carte et le territoire, lauréat du prix Goncourt (dans lequel un auteur fictif nommé Michel Houellebecq est assassiné), la cible de Soumission, plus que quiconque, semble être Houellebecq lui-même.

Le roman est raconté par François, un professeur de 44 ans à la Sorbonne et un expert du romancier décadent de la fin du siècle Joris-Karl Huysmans. François, qui se décrit comme « aussi politique qu’une serviette de bain », est assis pour regarder les résultats des élections de 2022. La France a traversé une décennie de luttes politiques intestines et de scandales, avec le sentiment que « le fossé grandissant, devenu un gouffre, entre le peuple et ceux qui prétendent parler en son nom, les politiciens et les journalistes, conduirait nécessairement à quelque chose de violent et d’imprévisible ». La violence très ballardienne vient des djihadistes salafistes dévoyés et de leurs homologues d’extrême droite, les Nativistes (imaginez l’EDL avec un cerveau) ; l’imprévisibilité vient du fait qu’au moment du dépouillement des votes, Marine Le Pen et son Front national sont au coude à coude avec un parti fictif, les Frères musulmans, dirigé par un fils d’épicier rusé et charismatique, Mohammed Ben Abbes (la confrérie semble vaguement inspirée de l’UDMF de Nagib Azergui). Les socialistes, sous la direction de Manuel Valls, préfèrent le diable qu’ils ne connaissent pas, et forment une coalition avec la Confrérie. Ben Abbes est nommé président. Le volte-face de François Bayrou (actuellement maire de Pau) devient premier ministre.

Les changements sous le gouvernement de Ben Abbes sont rapides et calculés. Alors que Le Pen, qui apparaît comme une figure de Marianne, une héroïne solitaire au milieu des imbéciles masculins gaffeurs de la politique française, mène une marche sur les Champs-Élysées, le passage à un État de charia est largement accepté sans protestation. Le chômage est résolu en forçant les femmes à quitter le marché du travail, le déficit national est éradiqué par des coupes dans l’éducation, avec la fermeture de la Sorbonne (et François au chômage) : « Dans le nouveau système, l’enseignement obligatoire s’arrête au collège, vers l’âge de douze ans. » Toutes les femmes sont obligées de porter le voile ; les Juifs (y compris Myriam, la petite amie de François) sont encouragés à émigrer en Israël ; et alors que de plus en plus de pays européens tombent aux mains des partis islamistes et que le Maroc, la Turquie et la Tunisie rejoignent l’UE (tandis que « les négociations avec le Liban et l’Égypte se déroulaient bien »), la France retrouve une position de puissance mondiale. Crucialement, il s’agit d’une victoire linguistique aussi bien que politique, le français étant réhabilité de sa position marginale sur la scène mondiale.

A l’avant-plan de cette marche vers un califat mondial, nous avons François, dont l’immersion dans Huysmans est jumelée à un manque presque total d’intérêt ou d’éducation pour quoi que ce soit d’autre. Il prétend consacrer sa vie à la littérature mais est incapable de voir plus loin que les rouages rebelles de son propre corps. Plusieurs pages sont racontées du point de vue de son pénis, et il considère chaque année universitaire comme une occasion de séduire et de sodomiser une autre de ses étudiantes. Il souffre d’un grand nombre de troubles, de la dyshidrose aux hémorroïdes, dont il décrit les symptômes avec une exactitude naturaliste dont Zola serait fier. C’est un misogyne, un misanthrope et un esthète, réduit à des dîners télévisés et à une vie de solitude écrasante, le tout décrit à grands coups de bile phosphorescente caractéristique de Houellebecq.

L’œuvre de Huysmans, et en particulier son chef-d’œuvre crépusculaire À Rebours, se trouve comme un palimpseste derrière Soumission, rassemblant ses obsessions et fournissant une couche supplémentaire satisfaisante à un roman déjà complexe. À la fin d’À Rebours, alors qu’il quitte sa maison de campagne pour Paris, le héros, Des Esseintes, se dit : « Eh bien, tout est fini maintenant. Comme un raz de marée, les vagues de la médiocrité humaine montent au ciel et vont engloutir ce refuge… Seigneur, ayez pitié du chrétien qui doute… qui prend la mer seul, dans la nuit, sous un firmament que n’éclairent plus les feux consolateurs de l’antique espérance ! »

C’est cette antique espérance – le besoin de religion, qui est l’une des fascinations motrices de Soumission. Les catholiques ont pratiquement disparu de France, nous dit-on, et le genre de conversion subie par Huysmans, qui est entré dans un monastère vers la fin de sa vie, n’est plus possible – le christianisme, selon François, est faible et « féminin », et pourtant il comprend le « désir désespéré de Huysmans de faire partie d’une religion ». Il se rend à l’ancien sanctuaire de la Vierge noire de Rocamadour, où il a une sorte de révélation spirituelle. Il retourne à Paris et à ses femmes voilées pour découvrir que la Sorbonne a rouvert ses portes sous le nom d’Université islamique de Paris-Sorbonne, soutenue par des fonds saoudiens. Son nouveau directeur, Robert Rediger, un ancien nativiste qui s’est converti à l’islam et a pris plusieurs épouses, dont une de 15 ans, commence le projet de convertir François.

Soumission, comme il sied à une dystopie écrite sur le mode du « pas encore », se termine dans un futur proleptique, parlant de ce qui viendra pour François et (avec un intérêt d’auteur plutôt moindre) pour le peuple de France. Houellebecq semble dire que la société française, sous la forme de ses politiciens, de ses journalistes, de ses universitaires et surtout de ses romanciers, aura exactement ce qu’elle mérite – un État dirigé par ceux qui croient en quelque chose de plus grand et de plus grandiose que le faste et les avantages de leurs positions élevées. Le fait que nous ayons le sentiment que la satire de Houellebecq (comme toutes les meilleures satires de Swift à Céline en passant par Waugh) n’est qu’à moitié plaisante fait de la lecture de Soumission une affaire louche et déconcertante : nous ne sommes jamais sûrs du degré d’avance de l’auteur sur nous, de la part de méchanceté qui est intentionnelle et de celle qui relève de la simple drôlerie, du nombre de niveaux qui se trouvent en dessous et qui n’attendent que de nous aspirer de notre haut lieu moral.

Soumission est publié par Heinemann (18,99 £). Cliquez ici pour l’acheter au prix de 15 £.19

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